HAITI: Jour 5 Le Cap
Encore une journée riche en émotion ! Ansy, notre chauffeur, nous a demandé de partir tôt car il doit nous emmener au Cap Haïtien et repartir directement à Port-au-Prince. Mais finalement c’est le dernier levé !
Nous retournons tout d’abord dans la famille d’Odenson. Bernard et Irénès se font un câlin en s’appelant mutuellement « papa ». Quel chemin parcouru depuis hier !… Ils veulent absolument qu’on aille saluer les autres membres de la famille qui habitent dans un autre quartier. Donc on se sert à 15 dans le mini-bus : les 2 familles sont plus que réunies, elles sont complètement ratatinées : les grands ont les petits sur les genoux ! Edith nous explique qu’il est très important pour elle de présenter Odenson à tout le monde car il y a 10 ans, ils lui ont tous affirmé qu’elle ne reverrait jamais son fils. Et là il revient, en plus en tant que petite « star » car les radios parlent beaucoup du festival de jazz de PAP. On sent beaucoup de fierté chez Edith et c’est très touchant… Je réalise à quel point on a bien fait de ne pas changer le prénom d’Odenson (même s’il adore Gabriel, le prénom de baptême qu’on lui a choisi), au moins c’est Odenson pour tout le monde, en France et en Haïti… Ce trajet permet aussi à Odenson de voir la maison dans laquelle il est né. Il ne veut pas trop parler de tout ça mais il nous avouera après coup qu’il ne s’attendait pas à cette pauvreté… Et encore, ce sont des maisons toutes petites mais avec des murs en moellons…
Comme notre chauffeur fait un aller-retour au Cap et qu’Odenson ne veut pas lâcher Loveline, on propose d’emmener ceux qui veulent. Il y aura finalement Loveline, Choublenka et Fito, le cousin. Mais rapidement la route devient une route de montagne et nos 3 passagers se sentent tous mal. Ils pensent que c’est parce qu’ils n’ont rien mangé depuis la veille. On fait donc un repas sur la route. Loveline a des petits rires gênés et elle dit à Fito qu’elle est intimidée car elle n’a jamais mangé dans un restaurant ! Elle demande aussi si elle peut sucer l’os du poulet. Cette phrase prononcée de manière innocente avec un petit rire masqué par une main devant la bouche va vraiment nous marquer…
On repart mais ça ne va pas mieux ! En fait, ils n’ont pas du tout l’habitude des routes qui tournent car c’est la 1ère fois que les filles quittent Gonaïves. Loveline va « attendre » que le mini-bus passe le portail d’entrée de l’hôtel pour vomir par la fenêtre ! Quasiment sur les pieds du gardien ! En tout cas notre arrivée n’est pas passée inaperçue !
Normalement Choublenka, Loveline et Fito devraient repartir tout de suite mais les chauffeurs partent faire un tour. On en profite pour leur proposer une petite baignade dans la piscine de l’hôtel. Les enfants se débrouillent pour leur prêter des maillots. L’eau est froide mais tout le monde est content. Loveline met la tête sous l’eau et panique, heureusement Esther est là pour l’aider !
Puis on part manger à Lakay.
Je fais enfin la connaissance de Nathalie, la directrice de l’Alliance Française du Cap, avec qui je communique par mail depuis 3 ans. Ca me fait tout drôle de mettre un visage sur son prénom !
Rapidement, on apprend que les chauffeurs ne repartent pas à Port-au-Prince ! Il est trop tard pour trouver un bus pour Gonaïves donc nous prenons la décision, avec l’accord de Nathalie, de leur donner la 3ème chambre que nous n’avions pas voulu prendre car il y avait déjà assez de couchages pour nous dans les deux premières…
Puis nous partons rencontrer les musiciens de l’école de musique Cemuchca. Ils nous ont préparé un petit concert. Rapidement nos enfants les rejoignent sur scène. Comme d’habitude, grâce à la musique, le contact est vite établi ! La pièce est petite et étroite avec une scène au fond, sur laquelle des musiciens s’ajoutent petit à petit. Rapidement on en a plein les oreilles mais tout le monde est ravi !
A 20h, Sacha, qui a passé 3 heures allongé sur des chaises, a besoin de rentrer. Une fois à l’hôtel on s’installe sur la terrasse pour commander un petit dessert. A un moment je vois Loveline la tête dans les mains et, inquiète, je lui demande si ça va. Elle me fait un grand sourire et me répond en souriant : « je prie ». Ouf, rien de grave ! Ensuite les enfants partent voir un film tous ensemble sur l’ordinateur portable dans une des chambres. Puis c’est l’heure de se coucher. Odenson décide de partager la chambre de Choublenka, Loveline et Fito.
On n’aurait jamais imaginé se retrouver tous ensemble à l’hôtel mais on est trop contents et on profite vraiment de chaque seconde passée ensemble !
HAITI: Jour 6 Le Cap
Une fois tout le monde réveillé, on prend le petit déjeuner. Il y a autant de plats sucrés que de plats salés ! Après être passés une fois au buffet, Choublenka, Loveline et Fito n’osent pas y retourner. Ils ont du mal à comprendre que c’est « à volonté ». J’explique discrètement à Loveline comment tenir ses couverts. Tout semble nouveau pour eux, même le fonctionnement du sucrier… C’est un drôle de sentiment de se dire que nous sommes si différents et si proche à la fois. C’est comme si on appartenait à deux mondes différents, tout en ayant l’impression de faire partie de la même famille. Loveline m’a même demandé d’être sa mère le jour où elle n’aura plus la sienne… C’est évident, notre maison sera toujours ouverte pour eux, par exemple pour des études en France… Nous leur avons aussi proposé d’inscrire toute la famille pour des cours de français à l’Alliance française, ce sera plus simple que de trouver un prof de créole haïtien dans la Drôme ! En tout cas une de mes plus grandes surprises en Haïti est de me rendre compte que les enfants scolarisés parlent mal français car les enseignants eux-mêmes parlent mal français ! Il n’y a que Choublenka qui parle bien français. Et Fito, le cousin, mais lui il parle à la manière d’un érudit du siècle dernier ce qui a le don d’agacer Rachel et Esther à qui il fait les yeux doux !
A 9h on a rendez-vous à l’Alliance française avec les musiciens de Cemuchca pour une journée entière de musique qui doit déboucher sur un concert commun dès ce soir. On n’est pas inquiets car ça nous laisse beaucoup plus de temps qu’à St Marc ou Gonaïves. En plus on va vu hier soir que les musiciens assuraient ! Par contre l’installation prend du temps ce qui fait que la pause « café-pains au chocolat » prévue par Nathalie est finalement repoussée à 11h.
Je passe pas mal de temps à discuter avec Choublenka, Loveline et Fito. Mais en fin de matinée, il est temps de partir prendre le bus. Séparation difficile, surtout entre Odenson et Loveline qui sont si fusionnels depuis le début. Loveline sèche vite ses larmes pour une dernière petite photo devant l’Alliance française. Choublenka est un peu jalouse de la complicité et de l’affection évidente qu’il y a entre Odenson et Loveline. Avec Odenson on a trouvé un moment pour en discuter avec elle. Je lui ai expliqué qu’Odenson avait toujours envie de s’occuper des plus petits que lui, comme il le fait avec ses cousins en France. Odenson a rajouté « tu sais Choublenka, je n’ai jamais eu de petite sœur avant ». En tout cas cette petite discussion a fait du bien à tout le monde…
Je suis seule à pouvoir accompagner Fito, Choublenka et Loveline. Lorsqu’on arrive pour acheter les billets de car auprès du Transporteur (heureusement un vrai bus et pas un tap-tap) on nous dit qu’il y a une heure d’attente. Donc on en profite pour aller acheter des souvenirs. Choublenka trouve des bijoux, Fito un livre, petit et cher, mais quel livre ! « Méthode rationnelle d’influence à distance et de dédoublement ». Je ne peux pas m’empêcher de lui dire qu’il faut être fou pour acheter un truc pareil ! Si on m’avait dit qu’on jour j’offrirai ça à quelqu’un ! Quant à Loveline elle craque devant une grande poupée blonde de très mauvaise qualité. Choublenka et Fito disent immédiatement « c’est interdit, ça va t’empêcher de faire sérieusement tes devoirs ! » J’essaie de leur expliquer que c’est aussi très important de jouer et que c’est à son âge qu’il faut en profiter. Avec leur accord, on convient que j’enverrai une poupée de bonne qualité lorsque je serai de retour en France. Une fois tous installés dans le bus, je retourne à l’AF, forcément émue. Avec Fito on a prévu de se revoir à Port-au-Prince mais les filles ? Dans combien d’années les reverrons-nous ?…
Une fois à l’AF, avec Nathalie on commande une montagne de pizzas à LaKaye. C’est vraiment le seul resto que nous ayons trouvé en Haïti qui allie qualité, quantité, petits prix et rapidité du service ! On est donc un peu décalé et on fait la pause repas à 14h30. A ce moment là une jeune bassoniste française arrive et intègre naturellement l’ensemble. Forcément, en tant que bassoniste Bernard est ravi ! A 17h, on arrête la répèt’ pour aller se changer pour le concert.
Le concert démarre par un discours de Nathalie qui me met les larmes aux yeux. Malheureusement je n’ai fait qu’une seule photo de ce moment et elle est complètement floue !… Donc, le concert… et quel concert, parsemé de coupures de courant et surtout de modifications d’intensité, qui faisaient que dans le chant, certains mots étaient hyper forts par rapport à d’autres ! Nous n’avions encore jamais connu ça ! Il faut dire aussi que Sacha a quitté ses chaises pour participer ! Quant à Bernard, il a été bavard comme jamais, tout au long du concert ! Forcément on a tellement de choses à dire sur notre périple en Haïti ! Malgré tout, j’ai quand même piqué le micro à la fin du concert pour un discours de plus mais trop important à mes yeux puisqu’il était destiné à Nathalie ! Bon, Nathalie, je pourrais quand même la présenter. D’accord c’est la directrice de l’Alliance française du Cap Haïtien et c’est aussi la déléguée générale de la Fondation Alliance Française en Haïti (enfin je crois, car tout au long du séjour je l’ai présentée en tant que directrice des AF). Et s’il fallait que je donne ma première impression, je dirai qu’elle a la main sur le cœur tout en pouvant taper du poing sur la table. Surtout c’est elle qui a été emballée par notre projet dès la 1ère seconde, il y a 3 ans, et qui a réussi à organiser toute la tournée en associant écoles de musique et Alliances françaises. On a partagé tous les moments de doutes, d’espoir puis encore des doutes et à nouveau de l’espoir, tous ça pendant 3 ans donc il y avait déjà des liens entre nous avant même de se voir. Quand on confie tant de choses à quelqu’un qu’on ne connaît pas on se demande bien comment va se passer la rencontre. Et si on était déçu ? C’est bête mais ça peut sûrement arriver, non ? Enfin dans notre cas vous aurez compris que ça ne s’est pas du tout passé comme ça. C’était plutôt comme une sorte d’évidence! Donc maintenant on ne va plus se quitter, enfin ça veut dire qu’on va bientôt se revoir !
En tout cas après 9h de musique, tout le monde termine la journée épuisé mais ravi. Rachel veut d’ailleurs être déposée à l’hôtel. Il faut dire qu’au niveau des repas elle fait un peu les choses de son côté. Elle essaie de sortir de plusieurs mois d’anorexie et c’est loin d’être simple, surtout en tournée où on ne mange pas ce qu’on veut quand on veut. Et en plus en Haïti… L’avantage c’est qu’en mangeant essentiellement des barres de céréales plutôt que des vrais repas c’est la seule qui a échappé à la tourista. En tout cas si nous avions suivi l’avis de l’équipe médicale qui la suit nous l’aurions même laissée seule en France. Autant dire que c’était pour nous hors de question !… Je pourrais parler d’anorexie pendant des heures tellement cette maladie est méconnue et donc mal comprise, mais bon, ici ce n’est pas le propos. Par contre cet hiver j’ai écrit pour Rachel une chanson sur ce thème et elle l’a mise en musique. J’espérais que ça lui ferait du bien pour accepter l’idée d’être malade et lui donner envie de s’en sortir. Maintenant elle veut la diffuser pour parler de la maladie… Bon, tout ça pour dire qu’on part manger avec Nathalie… Mais à 11h du soir les enfants nous réclament d’aller se coucher. Ah, les parents indignes qui oublient de coucher leurs enfants !
HAITI: Jour 7 Festival de jazz au Cap
Une très belle journée en perspective : l’avant première du festival de jazz de PAP ! On décide de commencer par une petite répèt’ dans la salle de conférence de l’hôtel.
Daniel Mille entre pour nous écouter et faire quelques notes avec les enfants puis c’est le tour de son bassiste Sylvin Marc. Ils ne tarissent pas d’éloge à propos des enfants ! Sylvin Marc dégage une énergie incroyable qui réveille immédiatement les enfants qui étaient un peu vautrés sur leurs fauteuils ! On part ensuite à l’Alliance française où Daniel et Sylvin font un workshop. Finalement, ils proposent un petit concert improvisé et répondent aux différentes questions. En fait Daniel Mille est venu avec « son » clarinettiste mais il lui fallait un bassiste et il a proposé à Sylvin Marc de faire la tournée avec eux. Mais ils ne se connaissaient pas et ce concert est pour eux l’équivalent d’une 1ère répétition ! Quant aux questions, elles sont parfois à mourir de rire. Sylvin délirait comme d’habitude et racontait que la musique était une nourriture. Une jeune haïtien lui demande « donc, vous faites un régime spécial ». Et lui, il répond « moi ? Un régime spécial ? Mais tu as vu ma graisse ? » Et là il soulève son T-shirt ! Vous avez donc un aperçu du personnage, ce qui explique que Sylvin soit rapidement devenu l’idole de nos enfants !
Après un repas tous ensemble, vous savez où, on part faire la balance sur le lieu du concert : la cour d’une ancienne prison !
Je ne résiste pas à l’envie de mettre cette photo de pieds. Vous devez vous demander pourquoi… C’est simplement pour garder un souvenir de la paire de chaussures fourrées portée par Odenson tout au long du séjour!
La scène est immense et les enfants sont trop impatients d’y jouer pour de bon, même Sacha, même si ça ne se voit pas!
On est très contents aussi de retrouver Milena et Joël les organisateurs du festival. La soirée commence avec un groupe haïtien X-Key, puis c’est à nous. Le public semble ravi mais nous, sur scène, on entend plein de larcènes. On apprendra après que tous les réglages faits lors de la balance ont été supprimés…
Ensuite on profite du concert de Daniel Mille…
Odenson a même doit à une interview. Jérémie le journaliste lui apprend, en direct qu’il est lui aussi un enfant qui a été adopté en France mais qu’il habite maintenant en Haïti. Odenson n’en revient pas! On apprend après coup que Jérémie a décidé de changer de vie en 2004 suite au tremblement de terre. Depuis il est surnommé Blanc à cause de… son accent!
Puis on part tout installer au resto LaKaye pour l’After. On se sert donc dans le bus avec tous les musiciens de Cemuchca.
La soirée est très sympa et on ne voit pas le temps passer. A 1h30 du matin, il est l’heure de rentrer. On doit quand même se lever à 5h pour prendre l’avion!